Livre  // Goliarda Sapienza

Ode à une sensualité et à une allégresse révolutionnaire sur remugle politique italien

L’Art de la joie de Goliarda Sapienza est un roman qui ne trouva pas de maison d'édition en Italie et qui parut en France, d’abord aux éditions Viviane Hamy puis aux éditions Tripode. Son autrice ne verra pas de son vivant son livre dans les librairies malgré un labeur long de dix années. Roman sulfureux dès les premières pages, le lecteur est directement happé par un récit troublant et hors les normes, à la fois solaire et irrévérencieux. Goliarda Sapienza fait les présentations en nous propulsant dans l’arène d’une enfance scandaleuse : le roman s’ouvre sur trois scènes cathartiques inoubliables. Ces trois déflagrations successives empêchent de refermer le livre. On erre ensuite, en état de choc, dans 600 pages ravagées par un même feu.

Roman d’apprentissage s’il en est, Modesta, le personnage principal de L’art de la joie, est née le 1er janvier 1900 à Catane, et nous emmène droit dans une Sicile patriarcale où les hommes font la loi et la religion acquiesce. Dans la fange d’une existence poisseuse d’avilissements, d’humiliations, de trahisons, Modesta continue de briller de mille feux et nous offre, au cours des expériences qui traversent sa vie, des réflexions vives, sagaces, piquantes, mais toujours politiques.

Dans sa quête initiatique qui traverse le XXème siècle, tout y passe : de la prison à l’amour libre, de l’anarchisme au fascisme. On suit ainsi toute la formation de Modesta, son enfance solitaire et douloureuse, son éveil aux autres, aux sens, aux limites, son apprentissage de l'âge adulte, de la maturité, de la maternité, de la guerre et de l'amour, sa conquête de liberté, sa quête de sens : tout un maelström d'évolutions intimes, de questionnements intérieurs et de victoires personnelles qui parvient à donner au texte un souffle incroyable, une énergie telle qu'on n'a d'autre choix que de finir ce très long roman. Un récit extrêmement moderne qui ne fait pas de concessions, qui tente de restituer un siècle d’existence crue, abrasive, extralucide.

la forme elle-même tend à ne pas vouloir s’enfermer dans des schémas attendus et fait preuve d'une grande singularité : Modesta alterne entre la première et la troisième personne pour se désigner, bascule parfois vers une forme proche du théâtre avec des dialogues qui capturent un instant très limité dans le temps - une poignée d'heures seulement -. La forme met en œuvre tout une mécanique hypnotique qui traite le temps par zoom et dézoom, tout ça sublimé par une écriture imagée et étourdissante, riche et poétique.

Présenté à la publication à partir de 1976, date d'achèvement de sa rédaction, L'Art de la joie connut multiples rebuffades auprès des éditeurs italiens, par trop frileux face à la liberté de pensée et d'action de cette incroyable Modesta, anti-héroïne qui porte si mal son prénom.

Pourquoi lire ce roman ? Parce que quelque chose du soleil noir de Catane, mêlé - de Gramsci aux années de plomb -, au remugle politique italien, nous dicte une conduite : celle de souscrire à un hymne de la joie. A la joie la plus simple qui soit, celle qui émane de la conscience et de l'acceptation sereine de sa propre existence ; à un hymne presque insolent, libre mais engagé, sensuel et impudique.

Ce livre incandescent, ainsi que d’autres titres de Goliarda Sapienza sont disponibles à la médiathèque !

 

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