Livre // Mariam Petrosyan
Nouvelle pépite de la science-fiction
Quelque part dans un pays anonyme, plantée au milieu d'un terrain vague, se trouve la Maison, un étrange institut pour enfants et adolescents mis au ban de la société. De l'extérieur c'est un bâtiment austère et décrépi, presque une ruine parsemée de fissures et de tiges en métal. Mais une fois passé la porte de cet édifice sans âme on pénètre un territoire organique, riche d'histoires et de mythes forgés au fil des ans par des générations d'enfants. On y croise quantité de pensionnaires renommés Fumeur, Sauterelle, Rousse ou Lord, dont les expériences et la vision du monde ne cessent de façonner l'environnement à leur image. Pour se faire une place ces personnages cabossés forment des bandes, mais ils promènent chacun avec eux un monde intérieur aussi dense que mystérieux fait de désirs, de secrets et de souvenirs troubles. Ils ont pris possession des lieux en dépit de la présence fantomatique des adultes qui semblent évoluer dans un espace parallèle. Pour passer le temps ils trainent à la cafetière ou au Sépulcre, jouent à Regard brumeux, s’abreuvent de chemin lunaire, collectent des Log et tentent de survivre à "la nuit la plus longue". Ils entretiennent les superstitions et les légendes de la maison, se parent d'amulettes, repeignent les murs et les fenêtres pour dissimuler le dehors. Plus les années passent et plus le moment où ils devront quitter ce petit monde fait planer sur eux la menace d’un extérieur qui les a toujours rejetés. Chaque départ de l’un d’entre eux est vécu comme une mort.
La Maison dans laquelle paru pour la première fois en 2009 est souvent qualifié d'envoutant. Peut-être parce qu'il n'avait à l'origine pas vocation à être publié. Il est le fruit des rêveries de Mariam Petrosyan, autrice russophone d'origine arménienne dont c'est le premier et unique roman. C'est dès son adolescence puis au cours de sa carrière dans l'animation qu'elle imagine ses différents personnages, d'abord en les dessinant, puis en tissant autour d'eux des situations, des récits et finalement cette maison qui les abritent tous. Son manuscrit épars l'accompagne pendant une dizaine d'années et circule dans son cercle d'amis avant de tomber entre les mains d'un éditeur abasourdi par la richesse improbable de tous ces compagnons imaginaires et une écriture à la fois directe et mélancolique. Relativement méconnu en France, malgré deux très belles éditions chez Monsieur Toussaint Louverture (2016), sa sortie initiale en Russie est en revanche une véritable déflagration. Ce livre si étrange et intime résonne auprès de toute une jeune génération et devient rapidement une référence culte pour des communautés de lectrices et de lecteurs. Et pour cause, c'est un roman fascinant que l'on parcourt de long en large et que l'on quitte à regret.