À l’occasion de La Nuit de la lecture qui met à l'honneur le corps cette année, nous avons, aujourd’hui, choisi de braquer les projecteurs sur les scènes de danse au cinéma préférées de l'équipe !
1953 - Les 5000 doigts du Dr. T
Le jeune Bart Collins doit subir les enseignements tyranniques du Dr. Terwilliker, son odieux professeur de piano. Un jour alors qu’il lutte pour réviser ses gammes, Bart s’endort et rêve.. qu’il est emprisonné dans une forteresse par un despote mégalomaniaque ne jurant que par le piano et ressemblant à s’y méprendre à son professeur si détesté. Le projet de cet affreux personnage ? Stigmatiser toute autre forme de musique et kidnapper des centaines d’enfants pour les faire jouer en chœur sur un piano géant, de gré ou de force.
Contrairement à ce que laisse penser son titre, Les 5000 doigts du Dr. T est une comédie musicale familiale tristement méconnue et pourtant riche d’une direction artistique prodigieuse, entre décors expressionnistes en technicolor et costumes dignes des premiers films de Tim Burton (dont il a probablement tiré une partie de son inspiration), c’est une pépite à découvrir ! Par exemple, vous êtes-vous déjà demandé à quoi pouvait bien ressembler un duel d’hypnose ?
1964 - Bande à part
À peine sorti du tournage et de la promotion du célèbre Mépris, le réalisateur Jean-Luc Godard, figure emblématique de la Nouvelle Vague, s’attèle à un nouveau projet cinématographique en adaptant un roman noir intitulé Pigeon Vole. Le film raconte les aventures de Franz et Arthur qui avec l’aide d’Odile, tentent de voler l’argent de sa tutrice.
Ce triangle amoureux chez les gangsters est une œuvre mélancolique sur une histoire d’amour teintée d’ironie. Si le long métrage fut un échec en salle à l’époque, il a acquis au fil du temps le statut d’un film culte notamment grâce à sa scène de danse. Trois minutes durant lesquels Anna Karina entourée de Sami Frey et Claude Brasseur exécutent sans retenue un Madison. La musique de Michel Legrand est interrompue régulièrement par la voix du réalisateur devenu narrateur omniscient. Celui-ci exigea des ses comédiens un nombre incalculable de répétitions pour arriver à ce résultat :
Bien des années plus tard, Quentin Tarantino, grand admirateur de Jean-Luc Godard et à l’origine, lui-aussi, de nombreuses scènes dansées tout aussi mythiques, rendit hommage au film en appelant sa boite de production A Band Apart. Il montra à Uma Thurman et John Travolta ce Madison sur pellicule avant le tournage de leur twist de Pulp Fiction. Plus récemment, la série The Curse a repris à l'identique cette fameuse chorégraphie.
1998 - Buffalo 66
Premier long métrage du cinéaste et figure de l’underground américain Vincent Gallo, Buffalo 66 suit la sortie de prison de Billy qui en partant rendre visite à ses parents kidnappe Layla, une jeune étudiante. Ville fantôme et personnages esseulés, l’univers de ce film peut sembler austère mais le réalisateur grâce sa liberté et son inventivité formelle introduit du burlesque et de l’émotion à son cinéma.
Layla est un personnage mutique aussi marginal que le héros du film. Sa scène de danse au bowling reste en mémoire car elle est une parenthèse fragile, surprenante et poétique. Si le personnage de Christina Ricci parle peu, il exprime à ce moment précis sa singularité et sa profonde personnalité par un numéro de claquettes au son du Moonchild aérien de King Crimson.
2000 - Billy Elliot
Adaptation d’un roman de littérature jeunesse, ce film prend comme décor un petit village minier de l’Angleterre. On y suit le combat d’un garçon de 11 ans pour imposer son désir de devenir danseur étoile. Les épreuves auxquelles il va devoir faire face sont multiples : les attentes de sa famille, le déterminisme social, le sexisme des mentalités... Dans ce magnifique film sur la découverte de soi, les scènes de danse sont nombreuses. Celle où le héros danse dans son quartier avec une énergie physique folle est peut-être le cœur du long métrage. Transformant chaque geste du quotidien en chorégraphie, le personnage incarné par Jamie Bell semble totalement consumé par son art, presque possédé alors qu' A Town Called Malice compose la bande son. La séquence finale voit la musique s’éteindre et tend vers l'épure. Au seul son des claquements sur le bitume, Stephen Daldry, en un long plan, synthétise tout le parcours et les émotions de son personnage : la rage et la grâce heurtées par le mur qui se dresse devant Billy Elliot.
2005 - Orgueil et préjugés
Adaptation du plus célèbre roman de Jane Austen, ce film de Joe Wright reprend fidèlement la rencontre d’Elizabeth Bennet et de Mr Darcy. Pendant la régence anglaise, les bals de société étaient très prisés car ils permettaient d’être bien intégré dans la société. Il n’est donc pas étonnant que les scènes de danse soient si nombreuses dans Orgueils et préjugés. La famille Bennet, peu fortunée, se rend ainsi à ces lieux de rencontre très codés afin de tisser des relations avec l’aristocratie locale. Cet aspect social est aussi présent dans le livre que dans le film. Mais avant tout, Orgueils et préjugés est une œuvre romantique. La relation ambiguë entre la flamboyante héroïne et le taciturne jeune homme est parfaitement représentée dans l’une plus belles scènes du long métrage, celle du bal de Netherfield. Presque filmée en plan séquence (on ne peut qu’imaginer le nombre de répétitions), la danse Maggot impose et rythme les séparations et les rapprochements physiques des protagonistes alors qu’eux même par leurs dialogues, jouent au chat et à la souris, passant d’une entente polie à une confrontation verbale. La caméra à chaque réplique suit l’un des personnages, l’isolant du cadre avant de les réunir et à nouveau les distancier. La musique qui accompagne les images est une magnifique réécriture du Abdelazer de Purcell. Un violon joue quasiment seul la partition aérienne avant que d’autres cordes viennent le rejoindre lors du final. Final qui utilise un effet de mise en scène aussi simple qu'efficace pour traduire en images l’amour naissant entre deux personnes : Elisabeth et Mr Darcy se retrouvent à danser seuls dans la salle de bal…
2005 - Funky forest
Funky forest c’est beaucoup de choses à la fois… A première vue ça n’a aucun sens, on y trouve en vrac des fratries saugrenues, des vaisseaux spatiaux, des duos d’humoristes survoltés, des salles de classe dépareillées, du body horror rigolo, des gens qui ne se comprennent pas, des week-ends loquaces entre collègues et surtout beaucoup de musique et de danse.
Parmi l’une de ces séquences remarquables on trouve le rêve d’un DJ complexé au cours duquel celui-ci est mis au défi par la fille qu’il aime de danser correctement. Après de longues minutes à rechigner et à se tortiller péniblement sur une plage de nuit, systématiquement éconduit, il parvient finalement grâce à une présence extraterrestre à trouver son rythme et à danser avec passion. Vous ne comprendrez peut-être pas tout, mais il y a des chances pour que ce film vous rende heureux.
2010 - Les Amours imaginaires
Deuxième film de Xavier Dolan, Les Amours imaginaires reprend un classique du cinéma, le triangle amoureux, en suivant le duel de Marie et Francis pour séduire le beau Nicolas. Tous deux invités à une fête organisée par le jeune homme qu’ils convoitent, ils finissent par se disputer tout en observant la piste de danse. Alors que le noir se fait uniquement interrompu par des effet stroboscopiques, le temps semble ralentir. Le réalisateur va alors se focaliser sur ses deux personnages et leurs frustrations.
L’euphorie des danseurs contraste avec les héros, assis, immobiles. Xavier Dolan parvient à fixer sur pellicule la solitude de Marie et Francis et même à représenter leurs imaginaires par un effet de style. L’un après l’autre, ils vont être cadrés en très gros plans qui seront très vite suivis de plans sur le corps dansant de Nicolas et enfin d’images totalement extérieures à la scène. Ainsi, si la jeune femme semble associer leur hôte au David de Michel-Ange, Francis le voit à travers les dessins érotiques de Jean Cocteau. En une scène, Les Amours imaginaires parvient à décrire le vague à l’âme de ses personnages amoureux de l'amour. Le réalisateur réalisera d'autres scènes de danse surprenantes : un ténébreux tango dans Tom à la ferme et un lâcher prise émouvant dans Mommy.
2018 - Climax
Réalisateur controversé qui fit scandale avec son Irréversible en 2002, Gaspar Noé revint en 2018 avec la fête cauchemardesque d’une troupe de danseurs. Le film s’ouvre sur un incroyable plan séquence de presque 5 minutes dans lequel les comédiens enchainent des prouesses physiques issues du voguing, du krump et du waacking au son d’un remix de Cerrone..
La beauté formelle et visuelle de cette scène prend aussi sa force dans le contraste qu’elle entretient avec la suite du long métrage. Quand l’aspect millimétré de la chorégraphie et de la mise en scène précède le chaos d’une nuit sous psychotrope :
2019 - Midsommar
Deuxième long métrage du réalisateur, Midsommar prend le contre-pied de son prédécesseur le sombre Hérédité, en jouant la carte de l’horreur ensoleillée. Dani, traumatisée par un drame qui a décimé toute sa famille et Christian, sont au bord de la rupture. Accompagnés de quelques amis, ils décident de partir dans un village reculé de la Suède lors du solstice d’été et de la fête qui l’accompagne. Ces vacances vont vite se transformer en cauchemar… Film de folk horror puissant, Midsommar derrière une trame classique de série B (des étudiants en voyage et leur confrontation avec une culture étrangère et menaçante) brasse des thèmes graves avec subtilité. Résilience, deuil, rupture et masculinité toxique trouvent leur apothéose lors de la scène de danse qui va faire élire Dani Reine de mai. Ce concours voit les jeunes filles tombées une à une de fatigue au profit de l’héroïne qui est gagnée par l’euphorie ambiante. Le réalisateur dès l’arrivée au village des jeunes américains sous-entend que la jeune femme fait déjà partie de cette communauté, qu’elle peut y trouver une vraie place et une famille d’adoption. Alors que la mise en scène de cette séquence alterne les plans fixes avec des mouvements de caméra plus amples suivant toujours la danse de Dani, celle-ci semble se libérer totalement de ses traumatismes. Presque arrivée au bout de son parcours, elle semble enfin atteindre le bonheur… Ce film d’Ari Aster est une expérience unique et dérangeante, navigant dans des zones troubles entre le bien et le mal tout en multipliant les interprétation possibles …
2020 - Drunk
Drunk de Thomas Vinterberg se termine par une scène de danse enivrante de Mads Mikkelsen, sur le morceau What a Life de Scarlet Pleasure. Mads Mikkelsen explique que cette scène fut un « étrange challenge » pour lui, étant donné que son passé de danseur remontait à quasiment trente ans - il a fait dix ans de ballet avant d'être acteur. Le réalisateur voulait faire voir une danse qui se situerait entre l’envol et l’écroulement : en effet, le film, bien alcoolisé, suscite un avant-goût amer d’ivresse et de lâcher-prise. Cette scène qui clôture le film empêche toute possibilité de tomber dans le pathos ou le moralisme quant à l’alcoolisme. C’est un peu comme si elle venait confirmer un sentiment ressenti dans les moments les plus virevoltants du film, à savoir que l’expérience faite par les quatre protagonistes n’était pas tout à fait vaine, absurde, ou même dangereuse, mais qu’elle les avait bel et bien plongés momentanément dans un pur état d’allégresse.
2021 - West side story
En 1984, Steven Spielberg déclarait son amour des comédies musicales avec l’ouverture d’Indiana Jones et le Temple Maudit. Il faudra attendre 37 années, pour que le cinéaste s’essaye véritablement à ce genre en réalisant le remake du classique de Robert Wise, West side story. Sa mise en scène virtuose irradie la pellicule lorsque le réalisateur reprend la séquence culte et la plus connue du film de 1961 : America. Dans le film original, la scène était nocturne et demeurait ancrée sur le toit d’un immeuble. En 2021, Steven Spielberg ouvre les espaces, change plusieurs fois de décors et rend le moment lumineux pour ne pas dire éclatant. Les couleurs sont éblouissantes ! La robe jaune d’Anita capte le regard du spectateur tout en soulignant les mouvements chorégraphiés. Si le réalisateur à travers ce remake parle du monde actuel et notamment de la gentrification, avec cette scène il rend clairement hommage à l’âge d'or du cinéma hollywoodien, lorsque le Technicolor rayonnait sur grand écran...
Bonus série téle !
Prenez la mystérieuse lycéenne Audrey Horne, le double R diner, le jazz vénéneux d’Angelo Badalamenti et vous obtenez dès l’épisode 3 l’une des scènes les plus envoutantes de Twin peaks, tellement iconique qu’elle sera reprise des décennies plus tard dans la saison 3.